Aragon, l'homme et l'oeuvre, sous le feu de la critique

Malcolm Cowley Sur Aragon

(1923)

Lettre à Kenneth Burke du 4 juin 1923 Lettre à Kenneth Burke du 4 juin 1923

"I have been intending to write you a letter about Louis Aragon," I said on June 4 [1923], "for his is a character which demands a long explanation... Imagine this elegant young man, from a family whose social position is above reproach: a young man so gifted that the word 'genius' must have been applied to him ever since he was four years old and wrote his first novel. A brilliant career stretches in front of him. He has read everything and mastered it. Suddenly, at a given age, he rejects his family and social connections and, with a splendid disdain acquired from his early successes, begins to tell everybody exactly what he thinks. And he continues to be successful. He has so much charme, when he wishes to use it, that il takes him years to make an enemy; but by force of repeated insults he succeeds in this aim also. He retains all that hatred of compromise which is the attribute of youth - and of a type of youth we never wholly possessed. He disapproves of La Nouvelle Revue Française ; therefore he refuses to write for it, although all other channels of publication are closed to him already. "J'ai l'intention de vous écrire une lettre au sujet de Louis Aragon," je l'ai dit le 4 juin [1923], «pour lui est un caractère qui demande une longue explication ... Imaginez cet élégant jeune homme, issu d'une famille dont la position sociale Est au-dessus de tout reproche: un jeune homme doué de sorte que le mot «génie» doivent avoir été appliquées à lui depuis qu'il a quatre ans, et écrit son premier roman. Une brillante carrière s'étend devant lui. Il a lu tout maîtrisé et il . Soudain, à un âge donné, il rejette sa famille et aux relations sociales et, avec un splendide dédain acquis auprès de ses premiers succès, tout le monde commence à dire exactement ce qu'il pense. Et il continue d'être couronnée de succès. Il a tellement de charme, quand Il veut l'utiliser, il faut que lui ans pour faire un ennemi, mais par la force des insultes répétées, il succède dans ce but également. Il conserve tous les compromis que la haine de ce qui est l'attribut de la jeunesse - et d'un type de la jeunesse nous Jamais totalement possédée. Il désapprouve La Nouvelle Revue Française, donc il refuse d'écrire pour elle, mais tous les autres canaux de publication sont déjà fermés pour lui.
"He lives literature. If I told him that a poem of Baudelaire's was badly written, he would be capable of slapping my face. He judges a writer largely by his moral qualities, such as courage, vigor of feeling, the refusal of compromise. He proclaims himself a romantic. In practice this means that his attitude toward women is abominable; he is either reciting poetry, which soon ceases to interest them, or trying to sleep with them, which they say becomes equally monotonous. He is always seriously in love; he never philanders. Often he is a terrible bore. He is an egoist and vain, but faithful to his friends... I have met other people whose work is interesting, but Aragon is the only one to impose himself by force of character. I ought to add that he has a doglike affection for André Breton. "Il vit en littérature. Si je lui dis que d'un poème de Baudelaire était mal écrite, il serait capable de gifler mon visage. Il juges un écrivain en grande partie par ses qualités morales, telles que le courage, la vigueur des sentiments, le refus des compromis. Il proclame lui-même un romantique. Dans la pratique, cela signifie que son attitude envers les femmes est abominable, il est soit en récitant des poèmes, que bientôt cesse de les intéresser, ou essaie de dormir avec eux, ce qu'ils disent devient aussi monotone. Il est toujours gravement en Amour, il n'a jamais philanders. Souvent, il est un terrible canon. Il est un égoïste et vain, mais fidèle à ses amis ... J'ai rencontré d'autres personnes dont le travail est intéressant, mais l'Aragon est la seule à s'imposer par la force des Caractère. Je dois ajouter qu'il a un doglike affection pour André Breton.
"My apologies for this long digression, but I think it will explain a good deal." "Mes excuses pour cette longue digression, mais je crois qu'il va expliquer une bonne affaire." Aragon, indeed, was affecting me more than I liked to admit. Aragon, en fait, affecte plus que moi j'aimais l'admettre. Under his influence I was becoming a Dadaist in spite of myself, was adopting many of the Dada standards, and was even preparing to put them into action. Sous son influence j'étais devenir un dadaïste en dépit de moi-même, a été l'adoption d'un grand nombre de Dada normes, et a même été la préparation pour les mettre en action.

Malcolm Cowley, [Lettre à Kenneth Burke, 04.06.1923], cité dans Malcolm Cowley [1934], nouvelle édition de 1961, p. Malcolm Cowley, [Lettre à Kenneth Burke, 04.06.1923], cité dans Malcolm Cowley [1934], nouvelle édition de 1961

Les points de suspension se trouvent dans le livre de Malcolm Cowley. Les points de suspension se trouvent dans le livre de Malcolm Cowley.

Ivan Goll sur Aragon

(1924)
Louis Aragon

Parmi les dadaïstes, Louis Aragon est, à l'heure actuelle, le seul resté fidèle à la négation pure et simple.
Ses amis sont plus ou moins tombés dans le bureaucratisme de leur dogme. Tant il est vrai que toute révolution aboutit nécessairement à une étape où les chefs se font ronds-de-cuir et profiteurs.
Mais Louis Aragon est le révolutionnaire né: il est toujours contre! Un jour il prendra une attitude contre lui-même et ses premiers amis, qui ne tiennent pas le coup.
Louis Aragon est l'homme le plus jeune de France, quoiqu'il ait déjà quelques années de combat et quelques succès de valeur à son actif.
Il est l'Adonis de la révolution. Il est l'Ingénu implacable de ce drame où l'humanité s'arrache les dents et le coeur.
Avec sa cravate rouge sur un smoking de circonstance, il lance à la face des bourgeois des Générales, des baisers qui sont des bombes camouflées.
Certains croient encore pouvoir le renflouer pour l'incorporer dans la flotte des grands bateaux de la Tradition - son style a l'allure d'un fier trois-mâts - mais ils se trompent. Il ne leur appartiendra plus. Il appartient à toutes les révolutions. Le Libertinage en fait foi.

I. Goll, 1924

René Crevel sur Aragon

(1924)

Barrès mort, il fallait donc récapituler [...] parce qu'on n'arrivait point à le résumer, on résolut de le partager; il s'agissait de mettre en pièces un nouvel empire de Charlemagne, et, une fois désarticulé, d'en donner les morceaux à des héritiers. Drieu La Rochelle divisa le tout par deux et proposa comme successeurs Louis Aragon et Henry de Montherlant.
Soit mépris, soit incapacité, Aragon, jusqu'ici, n'a point exercé d'action; il est donc imüpossible de dire qu'il continue un homme qui, tout en semblant s'intéresser à son seul orgueil, exerça toujours une influence directe et indéniable. Or, poète et romancier, Aragon s'est révélé littérateur; il est d'ailleurs dans la bonne moyenne, mais en vérité, ses trois livres Feu de joie(AU SANS PAREIL), Anicet (NOUVELLE REVUE FRANÇAISE) et les Aventures de Télémaque (NOUVELLE REVUE FRANÇAISE) font de lui un écrivain plus proche d'Anatole France que de Barrès ou des grands inquiets dont il se réclame. Son prochain recueil de contes Libertinage (annoncé à la NOUVELLE REVUE FRANÇAISE) révélera-t-il en lui les qualités et les défauts vivants, humains?

René Crevel, "Coups d'oeil", 1924

André Germain sur Aragon

(1924)

[...]
Mais Aragon, voilà le cas difficile, voilà où se rallume Dada. On ne peut se tirer d'affaire avec lui en opposant le poignard florentin au sabre empoisonné du Haschichin, l'innocence à l'innocence ou au dogmatisme le respect. Il ne digère pas son géant, lui: il le rend en cataclsmes et en éruptions dont terrible est la force et joli comme un bijou, le bouquet d'étincelles. Ne soyons pas prudents: cela vaut la peine de se brûler à lui.
Cette audace sera d'ailleurs punie de plusieurs façons. Non seulement sa pensée est dangereuse, mais aussi sa personnalité. Gide qui le connaît bien pâlit, si son nom est prononcé; il sait les choses affreuses qui se produiraient si sa désinvolture passait aux actes; en attendant il redoute ses paroles. Un jour où on combinait de présenter les Dadas à Madame de Noailles, le Maître de Cuverville [= André Gide] devint grave, accepta de se compromettre et dit: "Du moins pas Aragon. Il y a tout à risquer avec lui."
Écrire sur l'auteur d'Anicet, c'est agacer dans sa tanière un tigre. Si on attaque, si on cerne son talent, il se retourne vers vous, furieux et vous hurle l'imprécation du héros moderne. Si vous osez le louer, c'est bien pire. Il crache sur vous, s'il vous juge un indiscret quelconque; et, s'il vous distingue, il vous vomit au visage. [...]
[...] Aragon, c'est la force d'un Lénine et la logique d'une guillotine, toutes enguirlandées des jeux d'un poète. C'est la vertu destructive et l'entrain purgatif qu'apportait au monde Dada poussés par un esprit brave jusqu'à leurs extrêmes conséquences; c'est aussi la lampe d'Aladin dans une main jeune, c'est la lanterne magique devant un coeur d'enfant et toute une pluie stellaire dont un artificier dispose. Humons ce cimetière; balançons-nous à ce jardin suspendu. [...]

André Germain (1924)

Ernst Robert Curtius sur Aragon

(1925)

[...] Aber Aragon zu lesen - das allerdings gehört für mich zu den intellektuellen Genüssen, mit denen uns die moderne Literatur nicht verwöhnt. [...] Mais à lire Aragon - cela fait partie pour moi des plaisirs intellectuels, avec lesquels nous la littérature moderne n'est pas gâtés. Denn während die literarischen Moden vergehen, besitzt Aragon das, was allen Wechsel der Generationsstandpunkte überdauert: ein originelles Temperament, Charme, Phantasie, Anmut und einen Stil von schneidender Eleganz. En effet, alors que les modes passent littéraire, d'Aragon possède ce que tout changement de génération de points de vue survécu: un tempérament original, le charme, l'imagination, la grace et un style de schneidender élégance. Bei der ersten Begegnung mit seinen Büchern spürt man das undefinierbare Fluidum der starken und echten Begabung. Lors de la première rencontre avec ses livres, on sent le Fluidum indéfinissable de la forte et véritable talent. Und man weiß: dieser Name wird bleiben. Et l'on sait que ce nom restera.
Wenn man das Bedürfnis dazu verspürt, kann man Aragon Zynismus und Affektation vorwerfen. Si l'on en ressent le besoin, on peut Aragon cynisme et Affektation reprocher. Er wird viele Leser empören, und das will er auch. Il est soulèveront beaucoup de lecteurs, et cela veut-il aussi. Er ist das enfant terrible der jüngsten französischen Literatur. Il est le plus jeune enfant terrible de la littérature française. Zwei Elementartriebe der Jugend brechen leidenschaftlich in seinen Büchern aus: das Bedürfnis, zu zerstören und der fleischliche Liebeshunger. Deux Elementartriebe casser passionné de la jeunesse, dans ses ouvrages: le besoin de détruire et de la chair de la faim d'amour. Es sind dieselben Explosivstoffe wie bei Rimbaud. Les explosifs sont les mêmes que pour Rimbaud. Und, wie bei Rimbaud, die Wollust des Schimpfens. Et, comme chez Rimbaud, le plaisir du Schimpfens. Aber dahinter ein geheimes, schmerzliches Suchen. Mais derrière un secret, douloureux Rechercher. [...]

Ernst Robert Curtius, 1925 Ernst Robert Curtius, 1925

Robert Desnos sur Aragon

(fin des années vingt)

Louis Aragon

Je ne crois pas qu'il existe d'individu qui aille contre "son tempérament". C'est à tort qu'on s'imagine qu'un homme va contre ses penchants. Ce qu'on nomme vertu, au sens élevé du mot, n'est pas précisément cette lutte de sentiments et de volontés qui font d'un esprit le théâtre de l'inquiétude ou du désespoir. Chez Aragon plus que chez tout autre homme, ce conflit spirituel est sensible. Aussi se trouve-t-il en butte aux reproches ou aux haines de ceux qui, sans le moindre trouble, s'attachent à un seul de ses penchants et souhaitent sa victoire sur les autres au lieu de se passionner pour le drame intérieur qui se joue dans cette cervelle sentimentale et intelligente.
Louis Aragon en effet est un sentimental. J'imagine que c'est sans honte qu'il donne à son intelligence qui est grande, très grande, le droit de s'en apercevoir.
La sentimentalité d'Aragon est de tous les domaines, du domaine amoureux sur lequel je me ferais grief d'insister, du domaine amical (je parlerai longuement de ses relations publiques avec Breton), du domaine intellectuel, dans ses admirations et ses enthousiasmes, chaque domaine empiétant sur l'autre, le conditionnant et l'influençant.
Le jour où, dans une salle du Val-de-Grâce, le médecin aide-major Aragon rencontra l'élève-médecin aide-major Breton fut pour le premier une grande date: celle du coup de foudre intellectuel qui, un jour ou l'autre, frappe des âmes prédestinées et les engage sur une route qu'ils ne soupçonnaient pas ou qui leur semblait interdite ou impraticable.
Ce jour-là Aragon découvrait la poésie totale et le sens de sa vie. Il faut le louer d'avoir pu se trouver dans un état d'assez grande disponibilité pour accepter la révélation. Son inquiétude se transforma. Ce diamant brut mis en présence du brasier eut à choisir entre son prestige immobile (Aragon aurait pu devenir un littérateur de grande envergure et de grands succès. Je dis aurait pu... s'il n'avait rencontré Breton... mais dans cette rencontre Aragon lui-même a une part de responsabilité. Mystérieuses circonstances des destinées humaines!), eut à choisir dis-je entre son prestige immobile et la flamme pure et parfaite qui naîtrait de son sacrifice.